[12/14] Phoukout

Je démarre avec le plein de motivation et sous un ciel bleu, accompagné de quelques nuages.
Après une dizaine de kilomètres, je quitte la route principal pour m’engager sur un chemin de terre, ça annonce la couleur pour la suite. Je croise encore quelques camions.
La route est parfois défoncée à cause des camions justement et de la pluie mais pas de réel difficulté. Le paysage est magnifique, entouré de montagnes, de forêts et jungle.
De nouveau le retour à la nature !

Muang Phonxai

Je retrouve un morceau de bitume en arrivant au village Muang Phonxai. Je décide de m’y arrêter, en espérant y trouver une guesthouse.
J’en trouve une mais personne aux alentours, elle semble être abandonnée. Il y a encore de l’eau dans le réservoir et l’électricité marche aussi. Je pose mes affaires et entreprend de me faire à manger avec mon réchaud.
Premier essai avec de l’essence (enfin plutôt du gasoil pour moi). Je suis scrupuleusement la notice (chose assez rare pour moi) et arrive à le faire démarrer. Je savais que le gasoil était un mauvais choix, surtout pour l’odeur et la texture visqueuse. D’autant plus que le gasoil est sûrement de mauvaise qualité.
J’arrive néanmoins à faire bouillir de l’eau pour mes nouilles mais l’odeur envahissante du gasoil m’écoeure.
Bon la prochaine fois, retour au gaz, bien plus simple et plus propre. L’essence, ça sera en cas d’urgence.

Dans la soirée, je trouve un restaurant, personne ne parle un mot d’anglais ici. On me prépare une soupe que je savoure après mon repas raté ce midi.
De retour à la guesthouse, je rencontre un homme qui a les clés pour une chambre. Impossible de me faire comprendre pour savoir comment il a contacté le propriétaire.
Tant pis, j’installe ma tente dans le hall à l’intérieur, surtout pour les moustiques en fait.

Packbong

Lever avec le soleil et je croise une mamie avant de partir et je comprends qu’elle est la propriétaire. Elle se sent gênée de pas m’avoir offert une chambre, je la rassure que j’ai bien dormi tout de même.
Je me rends au restaurant de hier soir pour le petit-déjeuner et c’est avec le ventre bien rempli que je pars pour cette nouvelle journée.

Journée qui s’avère bien plus difficile que je pensais. Énormément de dénivelé et surtout une route parfois impraticable. La plupart du temps, je suis à pied en poussant les 40kg à bout de bras, en alternant de côté. S’ajoute la chaleur et le manque d’ombre sur la route.
Il n’est que 13h mais mes forces sont déjà épuisés. C’est en gravissant une longue pente, que j’arrive au tout petit village de Packbong et décide de manger.

J’arrive devant un groupe de personnes, essentiellement constitué des femmes et d’enfants. Je suis pas très à l’aise car tous les regards sont braqués sur moi. C’est avec succès que je demande un peu de nourriture. On me sert sur un plateau, une portion de sticky rice et quelques légumes.
Puis j’ose demander si je peux dormir ici, car je ne me vois pas continuer aujourd’hui et je ne sais pas à combien de kilomètres est le prochain village.
Je suis une des femmes qui me montre un bâtiment en parpaing où la majorité de la famille dort. Elle m’indique un endroit avec plein de couvertures et coussins.
Elle s’attèle à faire mon lit puis m’invite à me reposer, c’est pas de refus tellement je suis épuisé. Je dors quelques heures dans l’après-midi et passe le reste du temps à lire ou à visiter les alentours.

Le soir, on m’invite à me joindre à la famille dans une cuisine assez petite avec une table basse, des petits tabourets et un sol en terre. Au menu, du riz collant, des légumes et du poisson en conserve. Il règne une odeur de feu de bois et la lumière est assez faible. L’ambiance est calme, peu de discussions. On me jette de temps en temps des regards curieux ou interrogateur sur la nourriture.
J’arrive à me détendre et profiter de cette ambiance pittoresque.

Sophout

Après une nuit réparatrice, je démarre cette troisième journée avec le lever du soleil vers 6h du matin. Je me fais un brin de toilette au seul point d’eau du village : un robinet.
Puis comme le soir, le petit-déjeuner se déroule au même endroit. Le menu reste identique.
Je fais le plein d’eau bouilli, la seule solution pour éviter les maladies ici.
Je prépare ma monture sous les yeux curieux des enfants, ça me fait toujours perdre un peu mes moyens lorsqu’on m’observe.
Puis on me donne un gros sachet de riz collant, je les remercie et en compensation, je leur propose de l’argent. Chose qui sera gentiment refusée.

Me voilà donc reparti sur la piste, à traverser le village et grimper une pente bien raide dès le matin, à froid.
Durant la matinée, je dois faire avec un brouillard épais, une route boueuse et bien vallonnée.
A l’entré d’un des villages, une pente raide m’empêche d’avancer, à pied dans la boue, à pousser le vélo sous les regards parfois moqueur des enfants.
J’aurais bien aimé un petit coup de pouce à ce moment, le moral en prend un coup.
J’essaie aussi de trouver des bouteilles d’eau potable mais c’est introuvable ici.
Il se dégage une ambiance particulière avec ce brouillard et parfois les villages déserts, c’est assez lugubre. J’ai l’impression d’être dans un autre espace-temps.
Je trouve un point d’eau sur la route, je fais le plein et utilise mes comprimés pour désinfecter l’eau.

Je continue avec cette météo humide et une route peu praticable. C’est long, c’est dur physiquement.
Puis aux alentours de midi, j’en ai marre. Kaihopara Rangi est encore bloqué dans la boue. A peine plus d’un kilomètre en une heure, Je craque.
Je sais plus quoi faire : attendre un camion ou 4×4, poser ma tente ?
Soyons raisonnable, j’ai dû voir un seul véhicule depuis ce matin et planter la tente dans ce bourbier, autant oublier.

Je dois avancer, j’ai pas le choix surtout que j’ai peu de nourriture et une réserve d’eau limitée. Je tourne en rond, regarde l’état de mon équipement. Puis d’un seul coup, je prends mon bâton et recommence à enlever la boue qui bloque la roue arrière, sans que je réfléchisse. Et cela pendant encore 500m, en s’arrêtant toutes les 5 minutes pour enlever la boue.
Ensuite la route devient un peu plus praticable et sèche. Je suis les traces d’une moto, j’ai l’impression d’être conduit.

Le retour de la lumière

Et la lumière vient à moi, le ciel se dégage, les rayons du Soleil me réchauffe et je trouve un beau spot, près d’un ruisseau, peuplé de papillons.
Le contraste est saisissant avec la matinée noire et humide.
Je plonge mes pieds dans le petit cour d’eau en observant cette terre brunâtre qui me collait aux pieds. Pendant que je mange mon riz collant, les papillons me font une belle démonstration, ils sont au moins une vingtaine sinon plus.
Après tant d’effort, je profite de ce havre de paix pour me rebooster le moral et me reposer.

Mais la journée n’est pas encore terminée et j’ai pour objectif de rejoindre le village à côté de la rivière. Je devrais sûrement trouver un bateau pour la traverser et surtout, j’espère y trouver un toit.
La route est maintenant plus pierreuse mais c’est sans compter les pentes raides qui prennent un temps fou à gravir. Je puise dans toutes mes forces pour pousser ces 40 kg en haut, à plusieurs reprises.
Et j’arrive finalement au village de Sophout ! Je traverser un peu le village et cherche une guesthouse. En m’arrêtant devant un petit commerce, un homme m’interpelle en anglais. Hourra ! Quelqu’un avec qui je peux échanger.
Je lui explique d’où je viens et que je cherche un endroit pour dormir ce soir. Il me propose sans la moindre hésitation de dormir chez lui.

Je peux enfin prendre une douche bienfaitrice et me reposer un peu. Puis nous discutons et il m’explique qu’il tenait une Guesthouse à Luang Prabang auparavant mais il est maintenant médecin de campagne et passe son temps sur la route. Il a fait une demande pour être muté sur Luang Prabang mais il ne sait pas quand il aura une réponse, peut-être dans un an…
Et la soirée se prépare, des invités sont conviés au repas, principalement des voisins. La plupart n’ont jamais vu d’étranger ici.

Le repas se compose de riz collant évidemment, du poisson, un peu de légumes et de la bière. Puis le chef du village s’invite à notre table également, mon hôte assure la traduction. Il me parle d’une “petite” contribution pour le chef et la police locale qui doit vérifier mon passeport. Hum, je vois le truc venir. Il me demande 80000kip (8€). Il me reste peu d’argent liquide sur moi, et je dois en conserver un peu pour une éventuelle guesthouse.
Je négocie à 60000kip (6€), il accepte. Je paye et donne mon passeport, qui me sera rendu le lendemain matin avant de partir.

Phoukout

Après une nuit un peu agitée, je me lève de nouveau à 6h et prend mon petit-déjeuner composé d’une omelette et du riz collant. Je récupère mon passeport et mon hôte m’indique le chemin pour rejoindre le bateau, il doit commencer sa tournée. Je le remercie pour sa générosité.
A l’embarcadère, j’attends le retour d’un bateau-ferry. Il est plus étroit que d’habitude et je dois tenir debout en équilibre avec le vélo chargé. Heureusement qu’il n’y qu’une centaine de mètres à franchir.

Le pied à terre, une forte montée m’attend déjà, à froid de nouveau. Je grimpe, à pied. Le terrain commence à changer et c’est de nouveau la boue qui m’accueille. Même processus qu’hier, avec mon bâton, je décolle la boue des roues tous les 100m. C’est long mais je n’ai pas d’autres choix, je dois m’adapter à mon environnement.
Et enfin, la route se dégage et se transforme en piste pierreuse. Je trouve un petit spot pour mon déjeuner (du riz collant évidemment) mais après une dizaine de minutes, je suis délogé par des abeilles qui commencent à être de plus nombreuses. La pause aura été courte.

J’espère franchir le deuxième col avant 15h, sans ça, il sera difficile d’arriver avant la nuit. Le temps se couvre franchement, la grisaille s’accroche à la montagne.
Sur la route du col, je croise un groupe de gardes forestiers armés (que je prenais pour des chasseurs au loin). Ils m’arrêtent et réclament mon passeport. Pendant que le chef l’inspecte, je me demande si on va me réclamer encore une petite compensation. Si c’est le cas, je n’aurais plus rien pour me loger ce soir. J’attends patiemment.
Finalement, il me rend mon passeport avec un léger sourire. Je les salue et je continue ma route.

Je me fais la réflexion que j’étais étrangement calme, ça n’est pas à mon habitude. Quelque chose change en moi.
J’arrive enfin au col aux alentours de 15h et tombe dans le brouillard. Je traverse une crête avec cette vue à peine dégagée sur la chaîne de montagne. Encore une ambiance mystique que j’avais déjà ressentie au Cambodge. Et ce sentiment de liberté, complètement libre de mes peurs ! Je réalise tout ce que j’ai accompli ces derniers jours avec la satisfaction d’avoir passé “l’épreuve”, même si je sais que tout n’est pas terminé et que je dois rester concentré. Un sentiment incroyable accompagné de cette sensation d’être seul au monde.

Le final

Après cette interlude “magique”, j’entame la descente. La pente est raide encore une fois, le terrain rocailleux, un chaos infernal. Tout le poids de mon corps repose en partie sur mes poignets qui subissent les nombreuses secousses, malgré la fourche à l’avant du vélo. Les doigts agrippés aux freins, mes sens en éveil et mon esprit entièrement concentré sur la route.
Arrivé à 10 km du premier village de la journée, je dois emprunter une déviation car la route est complètement défoncée. Je suis un scooter qui m’ouvre la voie en espérant que je vais retrouver la route.
La pénombre arrive et je prépare ma lampe torche.
Après un ou deux kilomètres, je retrouve la route et arrive au village. La nuit est presque tombée, et je dois de nouveau faire avec la boue. Je manque plusieurs fois de glisser car je l’aperçois au dernier moment.

Et enfin, la route principale de Phonsavan ! Du goudron ! Je pense n’avoir jamais autant content de retrouver le bitume.
Mais ce n’est pas terminé pour autant car il fait totalement nuit et je dois encore parcourir 10 km pour rejoindre le premier hôtel.
Pour mettre un dernier petit coup d’adrénaline pour la journée, un chien assez hargneux en profite pour me courser sur une bonne distance. Je vide mes dernières réserves d’énergie.
Je suis complètement cuit et hâte de trouver un lit douillet. Puis je tombe sur une guesthouse accompagné d’un restaurant plus tôt que prévu. Je m’arrête sans réfléchir, demande un lit et un repas. Pas de problème.
Je m’assieds pour la deuxième fois de la journée après 12h d’expédition (pour seulement 30km parcourus) en ayant eu pour seul repas du riz collant. Comment j’ai fait ?

Je prends une douche chaude et tombe rapidement dans les bras de Morphée.

Photos : Muang Phonxai – PackbongSophoutPhoukout

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